L’intention

Quazar, Centre LGBTI+ d'Angers

Le Groupe droit d’asile de l’association Quazar, Centre LGBTI+ d’Angers, accompagne depuis 2011, des demandeuses et demandeurs d’asile persécuté·e·s dans leur pays en raison de leur orientation sexuelle, identité de genre ou raison de santé. J’ai rejoint ce groupe au début de l’année 2017. J’ai bénéficié d’une formation et d’un soutien dispensés par Bernard Moreau aujourd’hui porte-parole de l’association et référent du Groupe droit d’asile de Quazar. Bernard Moreau est une référence dans le monde associatif en matière d’asile et plus généralement du droit des étrangers. Depuis 15 ans, il accompagne et assiste des personnes en quête de protection. Il est consulté aujourd’hui par les CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile), les PADA (plateforme d’accueil des demandeurs d’asile), les associations LGBTI+ ou non de toute la France.

J’ai découvert des situations dont je n’avais pas idée

Bernard Moreau, porte parole de Quazar
Bernard Moreau, porte parole de Quazar

Très vite, j’ai accompagné dans leurs démarches des demandeurs d’asile gays ou bisexuels et j’ai découvert des situations dont je n’avais pas idée. Je savais bien sûr, que la situation des LGBTI est compliquée dans un grand nombre de pays. Je n’ignore pas non plus que des homosexuel·le·s sont éxécuté·e·s pour la simple raison d’être ce qu’ielles sont. Mais rencontrer des victimes, souvent blessées et la plupart du temps traumatisées, qui ont été obligées de tout quitter, de risquer leur vie dans un périple semé d’embuches, en situation de grande précarité et sans assurance qu’un lendemain meilleur les attende, m’a profondément transformé.

“À ceux qui le battront, l’avenir sera bon !”

Comment n’aurait-on pas envie de se battre pour que son pays accueille et protège un jeune homme qui vous raconte qu’il a entendu son père encourager les talibés qui le frappaient par un “à ceux qui le battront, l’avenir sera bon !” avant de transpercer sa verge à l’aide d’une aiguille de tanneur ? Ou un autre, attaché à un arbre, nu, les pneus pour le brûler entassés à côté de lui et les gens du village en quête d’essence pour allumer le brasier. Les viols correctifs pour les filles, les viols punitifs pour les garçons, les tortures en prison, les refus des soigneurs dans les hôpitaux parce qu’on ne porte pas secours aux homosexuel·le·s dans certains pays… des exemples parmi tant d’autres qui traduisent l’indicible qu’on ne peut plus ignorer.

Beaucoup n’ont pas conscience de la chance qu’ielles ont d’être né·e·s en France

J’ai perçu l’incompréhension de mes proches face à mon investissement, parfois l’indifférence quand je tentais d’expliquer mes raisons. Peut-être aussi du racisme, même au sein de la communauté LGBTI. J’ai eu souvent de la colère en me disant que beaucoup n’ont pas conscience de la chance qu’ielles ont d’être né·e·s en France.

Demandeurs d'asile LGBTI+

J’ai vite compris que ce qui m’avait éveillé, jusqu’à n’en plus dormir parfois, ça avait été de les rencontrer et de les écouter. C’est comme cela qu’est né le projet de ce film. Des demandeurs d’asile en avaient eu l’idée avant moi au sein de l’association mais leurs préoccupations et leurs situations instables étaient telles que ce projet avançait difficilement. Alors, j’ai proposé de reprendre l’idée. Bernard Moreau m’a donné des contacts. J’ai rencontré des réfugié·e·s, des demandeuses et demandeurs d’asile en cours de procédure aux parcours et récits de vie différents. J’ai retenu trois témoins. J’ai fait le choix de personnes francophones pour garder l’attention du plus grand nombre jusqu’au bout du documentaire. J’ai retenu ces histoires parce qu’elles ressemblent à beaucoup d’autres. Ce sont des africain·e·s de l’Ouest parce qu’au sein de notre association, ielles sont très présent·e·s et qu’on n’entend jamais parler de ce continent au sujet de cette problématique. Je voulais que soit présente une femme, parce que leur condition ne leur permet que très rarement de fuir. Je voulais que le spectateur fasse d’abord connaissance avec le témoin. Qu’il sympathise. Qu’il se dise, ce gars, cette fille, aurait pu être mon ami·e, mon frère, ma sœur… Puis qu’il découvre ce que les témoins ont vécu. Quelles ont été leurs difficultés dans leur quotidien jusqu’au moment où, comme le dit Sydoine, “tout à basculé”.

Je voulais aussi que le spectateur comprenne qu’être arrivé en France ne signifie pas que c’est la fin des ennuis. Que le parcours d’un demandeur ou d’une demandeuse d’asile n’est pas de tout repos. Que refaire sa vie à 30 ou 45 ans sans avoir la culture du pays n’est pas aisé. Je voulais aussi qu’ielles nous expliquent qu’après toutes ces souffrances, ici en France, l’homophobie continue de faire mal, qu’elle vienne des français ou qu’elle ait été importée par des frères africains.

Mike, Sydoine et Issa peuvent contribuer à changer le regard sur les exilé·e·s

En novembre 2018, quand j’ai commencé les enregistrements, je n’ai pas voulu aborder le racisme qu’ielles peuvent subir ici, parce que personne ne l’ignore et parce que c’est un autre sujet. Après avoir été témoin d’une injustice insupportable dont a été victime Issa alors que nous étions au restaurant, je dois avouer que c’est aujourd’hui un regret car j’ignorais malgré tout qu’elle soit aussi présente et qu’à chaque moment du quotidien ielles la subissent aussi.

J’ai enregistré plus de 7 heures de témoignages. L’objectif était d’en extraire un documentaire d’une heure. C’est une durée raisonnable pour ce type de film. Alors il m’a fallu faire des choix. Passer sous silence de nombreux détails qui ont pourtant leur importance. Comme pour Mike qui a dû vivre avec une femme avec laquelle il a été marié de force, elle-même homophobe et chargée par ses beaux parents de surveiller son mari. Mike, qui devait lui faire au plus vite un enfant sans avoir d’attirance ni même un sentiment amical pour elle, juste pour répondre à l’attente des parents et que cessent les menaces. Le montage a été extrêmement long, d’abord parce que je ne suis pas un professionnel mais surtout pour extraire le plus important, le plus significatif et ne pas compromettre la sécurité des témoins en France, le tout, sans abîmer leurs récits, sans déformer leurs paroles.

Leurs mots sont si rares qu’une heure n’était pas suffisante

Leurs mots sont si rares qu’une heure n’était pas suffisante. Le film dure donc 1 heure et 25 minutes, ça ne pouvait pas être autrement. Je m’inquiétais d’une telle durée pour le spectateur, mais j’étais persuadé qu’il fallait ce temps pour bien comprendre. Les premières projections, d’abord au sein de Quazar, mon association, puis à Bayonne et Pau en avril dernier m’ont rassuré. Les seuls qui m’ont avoué avoir hésité à sortir avant la fin sont ceux qui ont été choqués par les 40 premières secondes du générique. Oui, elles sont longues ces secondes durant lesquelles une foule d’hommes bat un jeune homme que l’on déshabille tandis qu’on filme le supplice. Pourtant, elles ne sont pas si dures que ça quand on entend certaines histoires. D’ailleurs, j’ai vu bien pire, bien plus insoutenable s’il faut mettre des strates à la violence. J’aurais pu aussi montrer des photos des corps ensanglantés de victimes lynchées dans la rue, comme celles que deux jeunes m’ont présentées il y a peu pour me parler de leurs amis tués. Mais, d’une part je voulais que le moment ait été authentifié, la vidéo du générique l’a été par France 24. Je voulais aussi rester dans les limites du supportable et dans cette vidéo, on y voit « juste » ce que risque, à chaque instant, un·e homosexuel·le·s ou un·e transgenre dans bien des pays d’Afrique. Ce n’est pas une attaque homophobe de quelques énervés comme les LGBTI peuvent en être victime en France aussi. Non, c’est la foule, la rue, la haine rageuse et populaire qui s’acharne soutenue par les autorités et attisée par les médias.

Devant le peu de volonté et d’actions de nos États pour améliorer la condition des homosexuel·e·s et des transgenres dans le monde, qui pourra stopper l’exécution d’homosexuel·e·s en Iran, parfois même encore mineurs ? Qui parviendra à fermer les camps de concentration en Tchétchénie ? Qui réussira à convaincre les pays d’Afrique que l’homosexualité n’a rien de satanique ? Je l’ignore.

Ce que je sais c’est que Mike, Sydoine et Issa peuvent contribuer à changer le regard sur les exilé·e·s. Ce film doit faire prendre conscience que ces homosexuel·e·s du bout du monde ne sont pas éloigné·e·s de nous. Ielles aspirent à la même chose : vivre et aimer en toute sécurité.

Arnaud VILLEMIN

Demandeur d'asile